Partis pris

A propos (texte d'Hadrien Courcelles)

! Ciel le vers regarde

Rêvons fantômes réels

Trois artistes font plus que verbes gelés :

Ecrivons pourtant…

Ce que les terres en flammes

Ne disent plus.

Ce que l’éther saurait mentir.

Tout commence par la liberté qui est la nôtre, et que l’on n’ose pas toujours exprimer. Que dites-vous du courage d’un être humain qui crée ? C’est comme s’il s’engageait dans les bois, explorait les mers, parcourait l’horizon en franchissant d’abord un pas : le plus terrible, celui qui le met à découvert. Bien entendu, dans un monde d’argentiers, le découvert nous fait penser à l’esclavage, aux dettes. C’est synonyme de danger. Pourquoi pas, il en est question dans l’exposition. Mais gardons en mémoire celui qui se barricade et devient l’esclave de son propre couvert. Ou parlons de découverte ? Les pistes se forment d’abord par l’aventure de quelqu’un qui décide de suivre son idée. Viennent ensuite les temps des files indiennes (joyeuses ou horribles).  Le geste artistique ne connait pas l’impossibilité que les arbres courent sur leurs racines, que le quotidien devienne rare, que les regards se mêlent, que le silence explose et que le vide parle à la place de la substance. Je vous parle de roches qui muent sous l’action d’un sculpteur, des images du photographe qui combinent une infinité de possibles en appelant à votre compréhension du monde, mais aussi de la plasticienne qui infuse les métaux des profondeurs dans ses paysages en surface. 

 

Ce qui suit n’est pas une énigme :

Tirer pour prendre le pouvoir

Ou prendre pour tirer sur lui :

Votre tout est leur parti

 

C’est la forme qui accouche, c’est la matière qui se reflète, c’est l’ordinaire qui s’endimanche dans les abysses.

Voici Dubuisson, Bohm et Locus.

Vous écoutez peut-être l’histoire des travers du monde. L’histoire des mondes, comme un coquillage à l’ouïe qui vous apporte la mer, est dans la statuaire d’Hugues Dubuisson. Ses moulages laissent à voir l’origine d’un objet, comme l’évocation formelle d’une réalité disparue, inconnue (donc ouverte aux fantasmes) et enrichie de sa propre enveloppe. Eléments organiques, métaphysiques, ils ouvrent des univers en soulignant l’exposition en relief.

Travers des histoires : le sang, l’or, l’éblouissement des consciences, la disparition, se retrouvent dans les narrations de Tatiana Bohm à travers de fines gravures sous-jacentes. Nous entendons, voyons avec ses œuvres les échos du lointain (dans l’espace, et dans le temps) rejaillir par leur emprunte. Trames paysagères de pierre, une question d’extraction là encore : à la sanguine, à la malachite et bien d’autres techniques. Finement, l’évanescence d’une réalité remonte, comme à rebours. Profondeur de l’univers.

Histoire de voir à travers : un mot, un parc d’attraction, une réalité hypocrite à révéler, Daniel Locus ose sans imposer : montreur d’images, arrangeur d’ambigüités, illusionniste généreux (il affirme qu’ « il ne faut pas croire ce qu’il montre »), ses films vous entrainent sur votre propre jardin d’expériences et de symboles. Qu’est-ce que cela questionne ? La suggestion crée-t-elle une uchronie (portant son récit à sa façon), ou une réalité bien patente quoique plus subtile ? Locus ose ne pas s’engager. Univers diaphane.

Il y a chez Daniel Locus, comme chez Tatiana Bohm et Hugues Dubuisson, l’inverse de coupeurs de routes : ils invitent à la libération, loin de cette léthargie qui, trop souvent, limite le regard.

Spectatrices, spectateurs, il s’agit d’une invitation à prendre parti.


Hadrien Courcelles

Article de Jean-Marie Wynants paru dans Le soir (MAD) du mercredi 7 juin 2023